13.

 

 

 

 

Mike fit rouler la valise de Chloé et la rangea contre le mur. Ils s’étaient arrêtés chez elle le temps qu’elle prenne quelques affaires. Elle pourrait y retourner aussi souvent qu’elle voudrait s’il lui manquait quelque chose, du moment qu’il l’accompagnait. Ou alors Barney. Et pour pas plus de dix minutes.

Sinon, elle resterait chez lui jusqu’à ce que la menace soit écartée.

L’appartement de Mike était en effet aussi inviolable qu’un coffre-fort de banque. Il y avait une caméra de surveillance dans le couloir et la porte était blindée.

Mike possédait un véritable arsenal : des Glock 19 et 23, un Colt. 45, un Browning Hi-Power, un Sig-Sauer P226, un Heckler & Koch USP Compact Tactical. 40, une carabine Colt AR-15A, deux fusils M4, les mêmes que ceux dont il s’était servi dans les Marines, un fusil Mossberg 590 bon pour la chasse à l’ours, un Remington 700, un Barrett M92, un Barrett M95 et son chouchou, un Barrett MRDA, avec lequel il aurait pu dégommer un truand en cavale sur la lune. Toutes ses armes étaient bien entretenues, propres, graissées, prêtes à l’emploi. Ajoutez 50 000 cartouches, deux lunettes, des casques, des jumelles de vision nocturne, deux gilets pare-balles sur mesure pour pouvoir y loger son poitrail extra-large, du câble, des grappins, des grenades flash-bang, cinq seringues hypodermiques pleines d’un anesthésiant pour bêtes fauves et capables d’endormir un homme en quelques secondes. Et puis encore des pains de C4 parfaitement illégaux ainsi qu’un bon kilomètre de cordon détonant. Et des couteaux. Mike adorait les couteaux. Il avait un SOG Aegis en titane, un poignard Zaccara, un couteau tactique Garrison, un Gerber Fast et un Balisong.

En cas d’invasion de morts-vivants, Mike était prêt à les recevoir.

Chloé, immobile sur le seuil, était intimidée. Pendant les six derniers mois, elle n’était venue chez lui que deux fois, et restée quelques minutes seulement à chaque fois. Il n’était pas souvent chez lui et ça se voyait.

Il habitait là depuis cinq ans et son appartement était aussi impersonnel que s’il venait d’emménager. Un genre d’immense garçonnière avec un endroit pour dormir, un endroit pour manger et un autre pour regarder la télé. En six mois, Chloé avait transformé son propre appartement en un petit paradis, un cocon gai, coloré et qui sentait bon.

L’appartement de Mike n’inspirait rien d’autre qu’un sentiment de sécurité. Ce n’était pas rien, mais pour le charme, il fallait frapper à une autre porte… Chloé regardait autour d’elle comme si c’était la première fois qu’elle venait, pour éviter de le regarder lui.

Mike ne savait quoi lui offrir. Il avait de la bière et des chips, des alcools en quantité, y compris toutes les marques de whisky et de bourbon disponibles chez son fournisseur. Des frites, des pizzas et des steaks, tous surgelés. Mais ni lait ni thé. Et, maintenant qu’il y pensait, ni légumes ni fruits, ni même du pain ou de la confiture.

Qu’y avait-il pour Chloé ici ? Rien.

Ils se regardèrent puis détournèrent les yeux.

Ce n’était pas comme ça que Mike avait prévu les choses. Souvent, réveillé la nuit, encombré par une érection dont il ne savait que faire, il avait imaginé toutes sortes de scénarios.

Pour commencer, il fallait persuader Harry de lever l’interdit. Mais il ne voyait pas comment. Alors, dans ses rêveries, ça arrivait comme par magie. Hop, plus d’interdit !

Ensuite, il la charmait. Mais Mike n’était pas charmeur pour deux sous ! Dans ces conditions, ses rêveries prenaient des raccourcis qui lui faisaient zapper les épineuses négociations avec Harry et le menaient directement au moment où Chloé se retrouvait nue dans son lit. Mieux valait commencer par là…

À présent, il se retrouvait au véritable début de l’histoire, et les mots lui manquaient.

— Je, euh… je t’offrirais bien du thé, sauf que je n’en ai pas.

Cela fit sourire Chloé. Ah, il aimait la voir sourire ! Elle rayonnait, même quand ce n’était qu’un petit sourire de rien du tout, comme maintenant.

Elle fouilla dans l’une des poches extérieures de sa valise et en sortit quelques sachets de Darjeeling.

— Je devais m’en douter, car j’ai eu soin de prendre ça chez moi.

Elle était peut-être un peu perdue mais elle était surtout très belle. Éprouvée, avec un bandage au bras, son maquillage en piteux état, elle surpassait encore toutes les femmes que Mike avait pu voir, y compris Nicole, ce qui n’était pas peu dire.

Il était là à la regarder, espérant que son érection ne se remarquait pas trop à travers son pantalon !

Il avait l’intention de se comporter en parfait gentleman. Harry avait peut-être tacitement levé l’interdit, il n’en restait pas moins que Chloé, qui venait d’échapper de peu à un viol, devait être traitée avec ménagement.

Chaque fois qu’il y repensait, une bouffée de rage meurtrière l’envahissait. Il était habitué à la violence. La violence était le terreau sur lequel il s’était épanoui. Il était devenu, à cause des circonstances, à la seconde où sa famille avait été massacrée, un expert en matière de violence, parlant le seul langage que les criminels comprenaient, celui de la violence. Et il le parlait couramment…

Mais la violence ne se justifiait que si elle avait un but, celui de protéger les gens comme Chloé. La protéger des monstres capables d’attraper une gamine par un bras et de la fracasser contre un mur ! La préserver des salauds comme son père adoptif ou ces deux enfoirés de Ruskoffs qui avaient essayé de la violer !

Comment pouvait-on faire ça ? Comment pouvait-on lui faire ça à elle ? À cet ange, qu’on n’avait qu’à regarder trois secondes pour se sentir mieux.

Gracie et Merry, avec l’infaillible instinct des enfants, se tournaient vers elle comme les plantes vers le soleil. Tout le monde l’aimait. Y compris lui. Surtout lui…

« Bon, maintenant, tu arrêtes de délirer ! se dit-il. Tu vas te dépêcher de la mettre dans ton pieu ! »

Mais, au lieu d’une des fadaises qu’il avait l’habitude de débiter, tout ce qu’il réussit à dire, ce fut :

— Je te fais une tasse de thé…

Elle avait l’air de plus en plus perdue.

— Oui, s’il te plaît.

Il ne bougea pas. Elle non plus. Le cerveau de Mike ne fonctionnait plus normalement.

Au fil des années, Mike avait perfectionné ses techniques de drague. Il connaissait par cœur des tas de répliques. C’était une mécanique de précision et, au bout d’une demi-heure, il était au lit avec la nana. Chez lui ou de préférence chez elle, comme ça, il pouvait s’en aller aussitôt après.

Mais là, il n’y avait aucun scénario écrit d’avance, parce que, eh bien, parce que c’était Chloé.

Mike savait qu’il aurait dû prendre la direction de la cuisine parce qu’elle voulait… Qu’est-ce qu’elle voulait au juste ? Il ne se rappelait pas. De toute façon, il n’avait pas envie de quitter la pièce.

— Tu vas t’installer dans ma chambre, bredouilla-t-il. Je vais débarrasser les placards. Tu verras, il y a beaucoup de place…

Il se faisait l’effet d’un balourd. Avec des semelles de plomb.

— Je dormirai sur le canapé. Ne t’en fais pas, j’ai connu pire.

Chloé fit un pas vers lui et le regarda dans les yeux.

— C’est vraiment ce que tu veux, Mike ? demanda-t-elle d’une voix à peine audible. Dormir sur le canapé ?

La réponse était non !

Mais il était incapable de parler, alors il écarta les mains.

Chloé se rapprocha encore. La voir d’aussi près, sentir l’odeur de sa peau… c’était trop d’un coup. Il ferma les yeux.

Elle posa une main sur son épaule. Une main très douce.

— Mike, tu veux vraiment coucher sur le canapé ?

Mike rouvrit les yeux et contempla le visage de Chloé tout près du sien. Elle ne minaudait pas. Elle voulait simplement savoir. Comme si la question se posait !

Chloé, pâle et meurtrie, lui demandait s’il avait envie d’elle et il eut l’impression qu’elle se préparait mentalement à un refus.

— Non, dit-il d’une voix éraillée, je n’ai aucune envie de coucher sur ce foutu canapé.

Il avança la main, montra le pansement de Chloé et laissa retomber son bras.

— Mais tu es blessée…

Il risquait de lui faire mal. Il n’était pas toujours doux dans l’amour. Pour l’heure, il était follement excité. Son sexe lourd et dur comme une massue. Mais rien qu’à l’idée de causer la moindre douleur à Chloé, fût-ce par maladresse, il avait des remontées de fiel dans la gorge.

— Je ne peux pas faire ça, Chloé, murmura-t-il, je ne peux vraiment pas.

Elle recula brusquement, le visage tout d’un coup lisse, parfait et sans vie. En un clin d’œil, elle fut loin de lui, hors de portée, étrangère.

— Pas de problème, dit-elle d’un ton conciliant. J’ai besoin d’une douche. Ensuite, j’irai me coucher. En fin de compte, je n’ai pas envie de thé. Je vais…, je vais dans la chambre…

Sa voix se mit à chevroter. Elle se détourna très vite, mais pas assez vite pour empêcher Mike de voir qu’elle souffrait. Aussitôt, il se fit des reproches.

« Tu ne veux pas lui faire de mal ? Et qu’est-ce que tu fais d’autre en ce moment, crétin ? »

Cette femme avait été agressée plusieurs fois. Trop de fois… Personne ne devrait jamais avoir à endurer ça ! Et, chaque fois, elle avait été abandonnée ensuite à sa solitude. Y compris maintenant.

Il l’envoyait se coucher sans même l’embrasser. Et tout ça pourquoi ? Par crainte de lui faire mal ? Certainement pas ! Cette excuse était bidon ! Il n’était peut-être pas doux dans l’amour, il craignait d’être maladroit, mais il ne se transformait quand même pas en fou furieux !

La vérité, c’est qu’il avait peur. Parce que la situation était inédite. Ici, tout était nouveau. Il ne reconnaissait rien, excepté son érection. Et encore ! Même ça, c’était différent. C’était pour Chloé qu’il bandait !

Il avait les nerfs à vif, il était à cran, survolté, mais il avait peur et, en amour, au contraire de la guerre, le vrai courage, c’est de fuir. Peu importe que Chloé en souffre, pourvu que ce vieux Mike protège ses fesses, pas vrai ?

Encore plus fort que les deux salauds qui l’avaient agressée, Mike était capable, lui, de lui briser le cœur. Au moment où elle avait le plus besoin de lui…

Chloé s’en allait vers la chambre pour y lécher ses plaies toute seule dans son coin, comme elle l’avait toujours fait, et il hésitait encore, paralysé à l’instant crucial.

Chloé allait disparaître dans la chambre, refermer la porte derrière elle. Dans une seconde, il serait trop tard. Il y aurait un abîme entre eux.

— Chloé ? Attends !

Elle s’arrêta, tête baissée.

Alors Mike dit quelque chose qu’il n’avait jamais dit à personne, des mots qu’il n’aurait jamais cm prononcer un jour.

— Chloé, j’ai besoin de toi.

Elle se retourna. Son visage était livide, douloureux, désespéré. Elle aurait eu le droit de lui faire des reproches, de lui demander pourquoi il était aussi insensible avec elle, alors qu’il était la providence des femmes martyres…

Il ne lui avait jamais exprimé ce qu’il éprouvait pour elle. Pas une seule fois en six mois. Il ne l’avait pas quittée d’une semelle, pour ainsi dire, et toutes les attentions qu’il lui avait prodiguées ne lui avaient rien coûté, puisque c’était autant d’occasions d’être près d’elle, ce qui suffisait à lui mettre le cœur en joie.

Mais jamais il ne lui avait parlé de ses sentiments. Pas un seul mot. Pas étonnant alors qu’elle n’attende rien de lui, pas même maintenant, alors qu’elle en avait tant besoin.

Elle le regardait, bouche bée, les yeux écarquillés.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

La main qu’il tendit vers elle tremblait. Une main de tireur d’élite ! Cette main-là ne tremblait jamais. Et pourtant, là, elle tremblait.

Il s’approcha de Chloé et lui prit la main, celle qui n’était pas blessée. Il la porta lentement à ses lèvres. La peau était glacée. À cause du choc, évidemment.

Mike souffrait de la voir comme ça, ressemblant à l’ancienne Chloé, qui s’était présentée un beau matin de janvier chez RBK d’un pas chancelant, en lançant de tous côtés des regards effarés.

Cette Chloé-là avait complètement disparu grâce à la famille qu’elle s’était trouvée, grâce à l’amour de deux petites filles en adoration devant elle. Et grâce à Mike, toujours là, qui l’aidait à faire du muscle, à défaut d’autre chose.

En six mois, elle s’était métamorphosée, et puis, de nouveau, le malheur s’était abattu sur elle, elle venait de subir des horreurs. Et il avait soudain devant lui la Chloé d’avant, avec ses blessures, ses doutes, son masque de tristesse. Cela lui étreignait le cœur de chagrin.

— Tu as besoin de moi comment ? Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle enfin.

Mike lui tenait toujours la main, pour la réchauffer. Il lui caressa la joue. Elle eut un mouvement de recul. Les doigts de Mike descendirent le long de sa joue et s’attardèrent dans son cou. Que cette peau était douce ! Douce et glacée !

— J’ai besoin de toi de toutes les façons possibles, Chloé. Je ne saurai jamais te l’expliquer. Mais s’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que je pourrai te le montrer.

Il se pencha légèrement, la souleva dans ses bras et l’emporta dans la chambre.

Chloé avait été portée quand elle était petite et aussi pendant ses années d’hosto. Depuis, plus rien. Dans les romans d’amour qu’elle avait lus, elle avait toujours adoré la scène où le héros porte l’héroïne dans ses bras, pour une raison ou pour une autre. Cela devait faire partie de l’éternel féminin – un trait de caractère qui résistait aux notions modernes d’égalité des sexes.

Elle n’aurait jamais cru que ça lui arriverait un jour et pourtant c’était en train de se produire. Un bel homme l’emportait. Dans une chambre. La sienne…

Mike ne regardait que Chloé, qu’il portait sans le moindre effort. Elle avait passé son bras autour de son cou, c’était un régal de sentir les muscles. De la force virile à l’état pur !

Le cœur de Chloé se mit à battre plus fort lorsqu’elle découvrit, à la lumière dorée qui entrait par les baies vitrées, la pièce où trônait, parmi les rares meubles, un grand lit. Elle aperçut aussi une commode et un unique fauteuil.

Sans s’arrêter, Mike prit la direction d’une porte entrouverte qu’il poussa du pied. Il se pencha pour allumer la lumière avec le coude. Chloé plissa les yeux, éblouie par le flot de lumière blanche. Mike la posa sur le sol et exhala un gros soupir.

— Dis donc ! Tu t’es sacrement remplumée ! J’ai failli ne pas réussir à te porter jusqu’ici.

Il la taquinait ! Mais il est vrai qu’elle avait pris quelques kilos, dont beaucoup de muscle et pas un gramme de mauvaise graisse. Grâce à lui…

— Fais gaffe à toi, Keillor, dit-elle, ou je te colle une rouste.

Ils échangèrent un sourire, oubliant tout l’espace d’une seconde. Mais bientôt, les mauvais souvenirs lui revinrent en mémoire et elle s’assombrit de nouveau.

— Je ne peux pas te garantir qu’il ne t’arrivera plus jamais malheur, dit Mike. Personne ne le peut. Je ne peux pas te garantir que tu ne te prendras pas un pot de fleurs sur la tête en te promenant dans la rue. Je ne peux pas te jurer qu’un chauffard ne va pas emboutir ta voiture. Mais il y a une chose que je peux te garantir. Ces deux types ne te feront plus jamais de mal, ni eux ni leurs complices. Ils peuvent toujours venir. Tant que je vivrai, personne ne touchera un seul cheveu de ta tête. J’espère qu’avec ça, tu es un peu rassurée.

Mike avait la mine grave, et ses paroles soulageaient Chloé d’un poids énorme. Non seulement elle était certaine d’être en sûreté auprès de lui, mais, à en juger par la lueur dans son regard, quelque chose de bon, qu’elle souhaitait ardemment, risquait d’arriver bientôt.

La salle de bains comportait une grande baignoire et une cabine de douche.

— J’imagine que tu as envie de faire un brin de toilette, dit Mike. À moins que tu ne préfères manger quelque chose avant.

Sans hésitation, Chloé choisit la toilette.

— C’est ce que je pensais, dit Mike. Bain ou douche ?

Le plus souvent, elle prenait des bains. Mais, à cet instant, elle voulait de l’eau qui glisse sur son corps et la lave du souvenir de ces deux hommes.

— Douche, répondit-elle.

Après l’avoir guidée dans la cabine, Mike glissa une main derrière elle, en haut de son dos, et attendit qu’elle lui donne l’autorisation qu’il attendait. Ce qu’elle fit d’un battement de paupières.

Il fit lentement descendre la fermeture à glissière de sa robe, qui s’ouvrit en deux. L’air frais caressa le dos nu de Chloé. Elle repéra le moment exact où il s’aperçut qu’elle n’avait pas de soutien-gorge.

Ses petits seins haut perchés n’en avaient pas vraiment besoin. Les doigts de Mike hésitèrent, puis parcoururent le dos de Chloé sans rencontrer aucun obstacle. Il posa sa main sur la peau nue, dans le creux des reins. Chloé en ressentit la chaleur dans tout son corps. Elle se trouvait bien, savourait chaque sensation. Le bruit de la respiration de Mike, la chaleur et le poids de sa main, l’impression de force qui émanait de lui, son sex-appeal.

Il s’était abstenu de la toucher pendant ces six derniers mois, alors toutes ces sensations étaient nouvelles. Elles étaient déconcertantes. Excitantes.

Ils étaient face à face, leurs poitrines se frôlaient. Sans quitter Chloé des yeux, Mike ouvrit le robinet. Le bruit d’averse rompit le silence. Il mit la main sous le jet.

— Chaude ?

— Mais pas bouillante.

Il lui ôta sa robe en faisant attention au bras blessé. Chloé apparut en slip et en sandales. Mike fit un demi-pas en arrière et la contempla. Partout où ses yeux se posaient, la peau de Chloé s’embrasait.

— Tu es belle, murmura-t-il en relevant les yeux.

Il la regardait comme si elle était la plus belle femme du monde !

— Merci, répondit-elle, à voix aussi basse que lui, comme s’ils échangeaient des confidences.

Il s’approcha de nouveau et, soudain, mit un genou à terre, tel un chevalier devant la dame de ses pensées.

Chloé baissa les yeux sur ses cheveux châtains coupés court, semés ici et là de mèches plus claires, grisonnant même sur les tempes.

Elle posa une main sur son crâne, fit glisser ses doigts dans ses cheveux, réveillant une odeur de shampoing mentholé. Mike l’encouragea d’un ronronnement de chat, bougeant la tête sous sa paume. Elle écarta les doigts, les replia. Les courtes mèches lui chatouillaient la paume.

Mike poussa un soupir d’aise.

— J’adore ça, dit-il d’une voix rauque.

Il resta agenouillé pour lui ôter sa petite culotte. Chloé s’appuya à ses épaules pour garder l’équilibre tandis qu’elle levait un pied puis l’autre. Le contact de ses épaules, oh ! là, là ! quel bonheur !

Mike la déchaussa. Au lieu de se relever, il lui embrassa le ventre. Ses lèvres étaient chaudes et il avait un début de barbe qui picotait. Il la lécha autour du nombril et le picotement se transforma en une formidable sensation de chaleur. Il donna un petit coup de dents qui la fit frissonner. Elle brûlait intérieurement. Il la mordilla encore, déclenchant une succession de petites décharges électriques. Lorsqu’il lécha les traces de morsures, le ventre de Chloé se creusa, elle sentit son sexe se contracter autour d’un membre imaginaire.

Mike souffla contre son ventre, releva la tête pour la regarder, avec une expression attentive et presque douloureuse.

Il se redressa par à-coups, avec précaution, et Chloé comprit pourquoi en baissant les yeux. Il portait un pantalon d’été et la fine étoffe était tendue à craquer sur son sexe en érection.

— On dirait que je te fais de l’effet ! s’exclama-t-elle, se mordant aussitôt la lèvre pour avoir laissé échapper une telle effronterie.

— Tu n’as pas idée à quel point.

— Alors, pourquoi… ?

Elle s’interrompit. Elle n’avait pas l’habitude d’exprimer ses désirs. C’était embarrassant mais elle avait tellement besoin de savoir. De trouver une explication à l’attitude de Mike durant ces six mois où elle avait été très malheureuse.

— Pourquoi es-tu resté loin de moi ? reprit-elle. Enfin, tu étais toujours là, mais…

Les mots restaient coincés au fond de sa gorge mais il fallait qu’ils sortent. Elle le regarda droit dans les yeux et se lança :

— Tu m’as embrassée ce jour-là, au Del Coronado. Tu t’en souviens, n’est-ce pas ?

Mike serra les mâchoires, parut avoir autant de mal qu’elle à trouver ses mots.

— Oh, je m’en souviens, oui ! Et je m’en souviendrai jusqu’à mon dernier jour.

Il avait l’air tellement sincère. Et pourtant…

— Alors, pourquoi, Mike ? Ça m’a fait si mal.

Ce baiser magique. Une atmosphère d’enchantement. Envolé, tout ça ! Comme un mirage ! Après que son innocence eut été prouvée, grâce à elle et surtout à Amanda, Chloé s’était attendue à tout autre chose, de la part de Mike, que ce regard fuyant, ce visage impassible. Il lui avait brisé le cœur, la remerciant froidement avant de ficher le camp, la laissant là, sidérée, telle une âme en peine. Elle en aurait chialé, si les autres ne l’avaient regardée, les femmes avec de la pitié plein les yeux, Harry avec l’air embarrassé.

— Merci pour ce que tu as fait pour Mike, avait-il dit, un brin solennel.

Ensuite, ils avaient fini le repas, sans Mike. Chloé avait mangé du bout des lèvres et s’était retirée tôt dans sa chambre, pour y pleurer jusqu’à l’épuisement.

Mike avait fait sa réapparition le lendemain, annonçant qu’il avait appelé le syndic et trouvé un appartement pour Chloé au même étage qu’Harry. Après quoi il s’était occupé de tous les détails pratiques de son installation et il ne s’était pas passé un jour sans qu’elle le revoie. Mais il ne l’avait plus jamais touchée. Et il n’avait même jamais fait allusion à ce qui s’était passé au Del Coronado.

— Pourquoi ? murmura-t-elle.

Il hocha la tête.

— Ça n’a pas d’importance pour le moment, dit-il, ce qui est important, c’est que les choses ont changé. Ce n’est plus comme avant.

Il l’embrassa sur le front.

— Maintenant, reprit-il, il est temps de te récurer, d’accord ?

Il plaça le bras blessé de Chloé sur son épaule, pour éviter de mouiller le pansement, imbiba une éponge de savon liquide et la promena sur le corps de Chloé, sans négliger le moindre centimètre carré. Chloé s’était déjà fait laver, des tas de fois même, à l’hôpital. Mais jamais comme ça.

Le passage de l’éponge était suivi de près par le passage de l’eau et ensuite c’était la bouche de Mike. Il lavait, rinçait, embrassait. Le cou, les épaules et puis, plus bas, autour des petits seins pointés. Ils palpitaient au rythme de sa respiration accélérée.

Se rendait-il compte de l’effet qu’il lui faisait ?

Elle croisa son regard, le découvrit brûlant.

Oh oui ! Il s’en rendait compte.

Il la renversa un peu en arrière sur son bras gauche et lui lava le ventre. Chloé ne se sentait plus d’aplomb, mais il y avait Mike pour la soutenir, elle n’avait rien à craindre.

Mike couvrait de baisers ses seins, l’un après l’autre, et tout à coup – oh mon Dieu ! – il avala le mamelon et se mit à le téter goulûment, déclenchant une onde qui par un chemin mystérieux se répercuta jusque dans son ventre. Elle se mit à haleter. Elle serait tombée, si Mike ne l’avait soutenue.

Elle s’agrippa à sa tête tandis qu’il continuait à suçoter les pointes délicates. Elles s’étiraient entre ses lèvres, durcissaient au contact de ses dents. Et lui respirait bruyamment, au comble du désir. Il reprit haleine, les joues rouges.

Soudain, il ouvrit des yeux ronds.

— Quoi ? demanda Chloé.

Mike eut un petit rire gêné.

— Je n’arrive pas à le croire ! s’exclama-t-il. J’ai toujours un préservatif dans ma poche ou à portée de main, toujours. Mais pas aujourd’hui, je n’en ai nulle part. Évidemment ! Ça fait six mois que je n’en ai pas eu besoin. Qu’est-ce qu’on va faire ?

C’était si inattendu que Chloé éclata de rire.

— Je ne vais pas ressortir dans cet état, dit-il. Le drugstore est à deux kilomètres ! Et tu me vois aller frapper à la porte de Sam ou d’Harry pour leur demander si par hasard ils n’auraient pas une capote pour me dépanner ?

Chloé lui donna un coup de poing sur l’épaule et puis elle le griffa, avec assez de conviction pour qu’il sente la piqûre de son ongle.

— Tu ne saurais pas te retirer à temps ? suggéra-t-elle d’une voix sourde.

Mike eut un petit sursaut. Deux ongles lui labouraient l’épaule.

— J’ai peur que non, avoua-t-il dans un souffle. Une fois en toi, je voudrai y rester le plus longtemps possible.

Les ongles descendirent sur son torse. Ça ne lui déplaisait pas et même ça l’excitait. Sa respiration s’accéléra et ses lèvres virèrent au pourpre.

— Même si on ne peut pas faire l’amour, Chloé, tu ne vas pas me laisser dans cet état, hein ?

Baissant les yeux, elle vit, sous la toile du pantalon, le sexe en érection qui vibrait.

— Ce serait de la torture, ajouta-t-il. Il y a des lois contre ça.

En riant, elle se pencha et lui griffa le ventre. Il se mit à trembler. Elle l’avait complètement à sa merci. Un jouet. Elle n’était qu’une faible femme et lui une force de la nature, mais c’était quand même elle qui avait le pouvoir.

— Fais-moi l’amour, maintenant, dit-elle.

Le visage de Mike se crispa. Il ôta précipitamment sa chemise, non sans arracher quelques boutons, puis se débarrassa fébrilement du reste de ses vêtements, sous son regard qui l’invitait à ne pas tergiverser.

Il entra dans la cabine de douche, juste sous le pommeau. L’eau dévala le long de sa poitrine, fit mousser les poils de sa toison et cascada sur son sexe dressé.

Il plaqua Chloé contre la paroi, sentit sous sa main les battements de son cœur. Il fit descendre sa paume jusqu’au ventre, provoquant au passage de délicieux picotements, puis plus bas. Sa main s’immobilisa entre les cuisses disjointes, la paume retournée enveloppant le mont de Vénus. Un doigt glissa entre les chairs tendres gonflées.

Il n’avait pas besoin de demander si elle était prête. Il le sentait contre sa main. Il introduisit un doigt en elle, le fit tourner. Les jambes de Chloé se mirent à flageoler.

— Mike ! s’exclama-t-elle.

Sa voix était faible, un murmure un peu rauque, essoufflé.

— Mike, allons sur le lit, je vais choir…

— Je te tiens, n’aie pas peur, dit-il d’un ton léger, enfonçant son doigt un peu plus loin en elle.

C’était sa paume qui la soutenait, et le doigt, bientôt rejoint par un deuxième, allait et venait lentement, de plus en plus profondément.

Elle se mit à trembler des pieds à la tête, en se laissant aller sur sa main large et puissante. Il avait un gros sexe et elle était étroite. Il fallait qu’elle soit prête et il continua de la caresser jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment humide et dilatée. Elle dodelinait de la tête en gémissant. Alors, il retira son doigt.

Chloé en eut le souffle coupé, lorsqu’elle sentit le membre de Mike buter contre sa fente. Il s’y frotta, la tête cognant les replis, cherchant à se frayer le passage. Elle l’aida, s’ouvrit. Alors, il entra en elle, d’une poussée lente et régulière, et elle n’eut pas mal, bien au contraire. La sensation d’être emplie fut même extraordinaire. Sans exagération, c’était le moment qu’elle avait attendu toute sa vie.

Il la prit par les fesses et la souleva pour qu’elle enroule ses jambes autour de sa taille. Ils se mirent à onduler en cadence. Chloé sentait tout avec une acuité délicieuse. Les puissants abdominaux de Mike contre son ventre, les poils de sa poitrine contre ses seins, sa toison pubienne contre le renflement de sa motte. Et surtout, les mouvements de son sexe en elle, amples et vigoureux comme ceux d’un piston.

Ils gardaient les yeux ouverts et se regardaient. Chloé n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi près. Chaque fois qu’elle se contractait autour de lui, elle en constatait instantanément l’effet sur son visage.

Il cessa brusquement de bouger.

— Si je continue, je ne vais pas pouvoir me retenir, dit-il d’une voix cassée.

Elle rit et tressauta. Le sexe de Mike se dilata en elle.

— Si on reste ici plus longtemps, on va se noyer.

— Match nul, murmura-t-il.

— Pas tout à fait, répondit-elle avec espièglerie.

Elle croisa les chevilles dans le dos de Mike, lui passa un bras autour du cou et imprima le rythme du va-et-vient.

Il renversa la tête en arrière, poussa une plainte et se remit à bouger à petits coups rapides. Le plaisir montait, pulsait dans leurs deux corps soudés. Chloé se mit à pousser des plaintes sourdes, entrecoupées de cris aigus, tandis que sa tête ballait dans tous les sens. Mike se figea après un dernier coup de boutoir et jouit, serrant les dents pour ne pas crier, tandis qu’il répandait en elle un jet dru et brûlant. À chaque giclée, Chloé se contractait autour de lui, provoquant un nouveau spasme de plaisir.

Mike était en train de jouir en elle, elle n’était plus qu’un corps emporté par une tornade de sensations exquises.

Ils s’immobilisèrent, pantelants comme après une longue course. Mike dénoua ses mains et elle reprit pied, en équilibre précaire sur ses jambes.

— Je crois que maintenant, nous allons avoir besoin de ce lit, dit-il.